Naissance d’Hélia – Puissance et Lumière, 19 octobre 2018

Il nous a fallu presque 3 ans pour enfin avoir le bonheur de te savoir vivante en moi, ma tendre Hélia. Tu es venue tout naturellement et je suis dans une profonde gratitude quand j’apprends donc le 14 février (hé oui !) que tu es bien en place et au chaud au creux de moi.

La grossesse se déroule à merveille. Je rayonne d’avantage de jour en jour, je te sens pleine de vie. Je profite de l’été et nous bénéficions d’un mois d’octobre exceptionnellement chaud et lumineux ! J’ai l’impression que ce n’est pas un hasard, comme si la terre entière se faisait belle pour t’accueillir. La date du terme programmée au 11 octobre est atteinte… et dépassée.

À partir de ce moment-là, j’éteins mon GSM, je me centre sur nous, je profite encore de la chaleur et du soleil pour me ressourcer.

Puis, la nuit du 18 au 19 octobre, je sens un mouvement appuyé, quelque chose de différent. Je me lève et je sens comme un étirement, un tiraillement dans le bas-ventre qui dure quelques secondes puis s’en va. Je m’assieds un peu sur le ballon en faisant bouger mon bassin, il est 3 heures du matin. Olivier, futur-papa, se lève et je lui annonce qu’il n’ira probablement pas travailler ce vendredi. Nous sommes heureux, impatients de t’accueillir dans nos bras. Nous décidons de nous recoucher, mais à peine dans le lit, une contraction forte me pousse à me lever et j’entends « craaac ». J’ai l’impression d’inonder le lit mais non, à peine quelques gouttes : je viens de fissurer la poche des eaux, il est 4 heures du matin. À partir de ce moment-là, les contractions deviennent intenses.

Durant les semaines précédentes, je me suis visualisée commençant effectivement le travail de nuit, à la lueur des bougies, en écoutant une chouette play-list que j’avais téléchargée, en faisant du ballon, en recevant des massages de mon époux, en variant les positions… Et finalement, ce n’est pas de cela dont j’avais besoin. J’ai traversé les contractions debout, les mains appuyées sur le plan de travail de la buanderie, ou sur une table, en faisant de longues et profondes vocalises. C’est venu tout seul, ça me faisait un bien fou ! J’avais besoin d’être centrée. Donc pas de bougies, pas de musiques, pas de massages, pas de ballon et c’était très bien ainsi !

À 6 heures, nous nous décidons à appeler Shuyana. Le temps de rassembler nos affaires et de nous mettre en route (après un trajet en voiture pas confortable), nous arrivons à 7h à la Maison de Naissance. Une contraction sur le parking. Je me jette dans les bras de Shuyana. Nous montons l’escalier et entrons dans la chambre « mer ». Une autre contraction. Et tout de suite, l’envie irrépressible de pousser ! Mais ça va tellement vite ! Je ne m’attendais pas à cela. On m’avait dit que pour un premier enfant, le travail pouvait durer des heures et des heures, 10, 15, 20… Et là, en tout juste 4 heures, c’est fini ? Je ne me sens pas prête, la deuxième sage-femme n’est pas encore là. Je suis d’un coup envahie par des peurs que je n’ai pas connues jusqu’alors. Une sorte de peur de mourir, peur de ne pas y arriver. Et d’autres peurs aussi, qui ne m’appartiennent pas tout à fait mais qui sont là. Je pousse pendant une heure, ton papa me soutient, c’est mon chêne dans la tempête. Les poussées et contre-poussées ressemblent à une danse, une chorégraphie. Mais un petit bourrelet de col empêche la descente. Par une manœuvre de Shuyana, le bourrelet « passe », mais malgré tout, cela n’avance pas. Je sens que quelque chose me retient, je lâche beaucoup de souffle, comme pour les poussées de travail. J’ai tellement envie de te voir ma puce, et en même temps j’ai si peur. Mais toi, tu participes bien, je te sens bien présente. Tu vis admirablement bien ta naissance, ton cœur reste invariablement au même rythme. Nous poursuivons. C’est incroyable cette sensation de devoir aller à selles ! J’ai l’impression un peu bête que tu vas sortir par le mauvais côté ! Après encore une heure, Shuyana nous parle d’un transfert à l’hôpital car je commence à bien fatiguer, les contractions de poussée étant intenses et très rapprochées. Mais ça je ne veux pas ! Je veux te donner naissance dans ce cocon chaud et familial de la maison de naissance. Et puis, aller à l’hôpital, à quoi cela servirait ? Je n’aurais de toute façon rien pour soulager la douleur car nous sommes trop avancés, et tout ce que j’y gagnerais, c’est une épisiotomie et des forceps ou ventouses pour te sortir vite. Alors que j’ai justement besoin de temps. Tout va bien, j’ai juste besoin de temps pour traverser toutes ces peurs qui m’entourent. Alors je lâche, et je commence à pousser mieux. Tu descends bien, tu es tellement active et patiente en même temps. Je sens que nous sommes unies. Nous testons toutes les positions possibles. Puis, finalement, je me couche sur le dos, les forces commençant à me manquer sérieusement. Lors des dernières poussées, au couronnement, mon corps est tellement dans ses retranchements qu’au terme d’une contraction, il se relâche complètement et je dors ! Ce qui est incroyable, c’est que, tout en dormant, je m’entends ronfler et j’entends les sages-femmes qui parlent. Puis ça y’est, je sens ta tête, une sensation presqu’insoutenable de brulure, une sensation d’écartèlement. On en parle pendant la prépa à l’accouchement, mais c’est inimaginable !  Puis, ta tête sort, et là, c’est un moment suspendu. Je n’ai plus mal. Et c’est comme si tout le monde retenait son souffle, tout à coup une impression de silence et de calme. Je te sens pivoter à l’intérieur de moi (quelle sensation étrange !) Dans une dernière contraction, je sens tes épaules passer, tes jambes gigotent encore à l’intérieur, puis tu sors entièrement. Et te voilà ! Je n’en reviens pas ! Tu es là ! Toute rose, pleine de vie. Il est 11h11, l’heure miroir des personnes particulièrement connectées à leur ange gardien. C’est tout ce que je te souhaite ma puce !

Le cordon s’arrête quasi de suite de battre, tu fais caca, le placenta sort. Tu sembles déjà chercher à téter, alors on te place près de mon sein. Mais c’est un peu trop tôt, cela ne fait qu’une vingtaine de minutes que tu es née, les sages-femmes examinent si j’ai des déchirures, et je suis très fatiguée. La première tétée n’a donc pas été un bon moment, ni pour toi ni pour moi, car tu n’avais pas été bien placée, donc tu as d’abord tété ma peau, ce qui m’a valu un suçon sur le sein, puis, ne sachant pas bien te soutenir, une crevasse s’est de suite formée sur mon téton, qui a mis des jours à partir.

C’est pourquoi je voudrais aussi décrire en quelques mots l’allaitement qui a suivi ta naissance. Bien sûr, pendant la grossesse, j’ai manifesté mon désir de t’allaiter. Je me voyais, comme une image d’Epinal, t’allaitant et toi tétant tout ce dont tu avais besoin, dans le calme, la douceur, l’épanouissement le plus complet. Mais ce n’est pas comme cela que ça s’est passé. La première tétée m’a d’abord « refroidie ». Les tétées suivantes ne se sont pas mieux passées car j’ai eu extrêmement mal. J’ai fait 2 crises de spasmophilie les premiers jours à cause de la douleur de l’allaitement. Je n’en pouvais plus, je voulais qu’on m’achève. Toi tu tétais bien, tu n’ouvrais pas beaucoup la bouche mais ce n’était pas cela le souci. J’ai eu une montée de lait très tardive (une dizaine de jours après l’accouchement). Durant ce laps de temps, chaque tétée me faisait souffrir, je pleurais et tu me regardais avec de grands yeux inquiets. J’ai pris le temps de t’expliquer que ce n’était pas ton émotion, ni ta responsabilité, mon trésor. Mais je redoutais chaque tétée. Après 3 jours de torture, nous avons mis, sur les conseils de Delphine, ma poitrine au repos pendant 24 heures. Cette pause m’a fait du bien, Olivier te donnait un peu de lait maternisé à la seringue, comme un petit oisillon. J’ai testé le tire-lait pour activer la lactation et te donner à la seringue le lait tiré. Mais il n’y avait pas assez de lait pour tes besoins. Après une semaine, j’ai essayé de t’allaiter avec des téterelles. Ça a été mieux, de mieux en mieux. Mais je n’ai plus su t’allaiter directement au sein par la suite, j’avais trop peur et toi tu ne savais pas téter directement au sein, puisque tu as été habituée toute petite avec les téterelles. Mais ce n’est pas grave. Aujourd’hui tu as 4 mois, et tu es toujours allaitée au soir.

En regardant cette expérience avec le recul, je me dis que l’allaitement maternel, bien sûr cela reste du sur-mesure pour l’enfant et c’est excellent pour lui, mais qu’il y a aussi d’autres facteurs à prendre en compte dans l’accompagnement des jeunes mamans dans cette aventure. Personnellement, je n’étais pas du tout préparée à la douleur. Autant pour l’accouchement, la douleur est abordée sans tabou car elle est « normale », autant pour l’allaitement, il y a comme un non-dit, comme si l’allaitement ne pouvait pas faire mal. Or, vivant une situation difficile, j’ai voulu savoir comment d’autres femmes, de mon âge ou plus âgées avaient elles-mêmes vécu l’allaitement. Pour environ 70% d’entre-elles, l’expérience n’avait pas été agréable, variant de « pas facile » à « horriblement douloureux ». J’ai entendu des récits qui avaient été tus jusqu’alors, par culpabilité. Les femmes qui, pour se respecter, avaient décidé d’arrêter l’allaitement maternel le voyaient encore comme un échec, comme si elles n’étaient pas de « bonnes mères » puisqu’elles n’avaient pas donné le meilleur à leur enfant (sous-entendu que le meilleur pour l’enfant est considéré comme étant le lait maternel, et non l’amour, la bienveillance, la tendresse, la joie…).

Pour ma part, l’allaitement a été jusqu’à mettre en danger mon lien d’attachement à toi, ma chère Hélia. Ayant mal, étant fatiguée, avec les hormones en chute libre, ayant peur des tétées, j’avais du mal à te reconnaitre, à t’accueillir pleinement. Et ça, c’est très très culpabilisant. Ce n’est que grâce à la patience de Shuyana, à son accompagnement que j’ai pu me connecter à toi et reconnaitre ce lien d’amour indestructible, qui était là depuis le début mais que j’étais alors incapable de voir.

Tout cela pour dire qu’il y a, à mon sens, encore beaucoup à faire autour de l’allaitement. Il y a un discernement plus précis à avoir dans l’accompagnement des jeunes mamans, une écoute sans jugement et sans « but à atteindre » à développer. Et surtout, que les personnes qui accompagnent les mamans les rassurent : elles sont les mères idéales pour leur enfant, quel que soit le lait donné. Sauf allergie, un enfant n’est pas moins épanoui qu’un autre s’il reçoit du lait maternisé. Par contre, un enfant qui est en manque de câlin, de tendresse, de bisous, de sourire, de contacts est en danger. Vouloir faire tout parfaitement a toujours été en moi comme un impératif. L’expérience de l’allaitement m’a permis de m’incarner, de revenir sur terre et de vivre la réalité telle qu’elle est, et non pas comme je l’avais projeté, ou comme la société l’ordonne. Personnellement, c’est lorsque je me suis autorisée à acheter un bon biberon (Medela Calma, qui favorise la succion comme au sein) et du bon lait en poudre biologique, que la pression est retombée et que, du coup, l’allaitement a été mieux !

Je vous souhaite, à chacune, de vivre un accouchement et un allaitement (si vous le souhaitez) qui soit juste pour vous, dans le respect de vous-même  et l’amour de votre bébé.

Valérie