Une naissance à l’opposé de ce que nous avions rêvé…
Alors voilà… J’avais imaginé un accouchement le plus naturel possible, dans un endroit douillet, dans une ambiance paisible et dans le respect de nos valeurs. D’où la Maison de Naissance…et tout de suite, dès les premiers rendez-vous, la confiance. La confiance en Bénédicte, Evelyne et Marie-Christine mais aussi et surtout, la confiance en nous, futurs parents pour la première fois. On était tellement dans notre élément à l’Arche de Noé, on s’est sentis tellement bien, et ma grossesse était tellement belle, qu’on n’avait pas imaginé que cela se passerait comme c’est arrivé. Bien sûr, on savait et on avait été préparés au fait que l’accouchement pourrait avoir lieu en milieu hospitalier, plutôt qu’à la MDN, si ma santé et/ou celle du bébé le nécessitai(en)t. On l’avait imaginé, avec notre gynéco aussi, pour que, si cela devait arriver, cela se passe dans les meilleures conditions possibles, plutôt que d’être vécu comme un échec.
Mais, encore une fois, tout se passait tellement bien que, jusqu’à trois jours avant la naissance de Léo, on a cru et espéré que tout se déroulerait à la MDN.
Une belle grossesse donc: prise de poids tout à fait acceptable (3 kgs en 6 mois), paramètres normaux. Puis, pendant les vacances de Noël 2012 (j’en suis à 31 semaines d’aménorrhée), je remarque que je commence de la rétention d’eau au niveau des chevilles. Assez classique en début de troisième trimestre. Je lis que la marche peut aider à «dégonfler»: je m’y mets! Une semaine plus tard, l’effort me pèse beaucoup. Je prends ma tension: j’ai des pics de 17-11, 18-12! Je me pèse: je réalise que j’ai pris 10 kilos du 6ème au 7ème mois…
Je reprends le boulot mardi le 8 janvier, et là je me rends compte que je me sens essoufflée, même quand je suis assise à mon bureau. Et depuis la veille, j’ai réalisé que même mes mains et mon visage avaient gonflé. Là ça m’inquiète. J’ai rendez-vous avec Marie-Christine le vendredi de la même semaine mais je préfère ne pas attendre et être sûre de ne pas passer à côté de quelque chose. Je l’appelle le mardi 8 janvier au matin et lui explique ce que j’ai pu observer depuis deux jours. Calmement, elle m’explique que je présente des signes de décompensation et qu’on ne peut pas attendre vendredi: je dois voir mon gynéco en urgence. Chance, celui-ci peut me recevoir l’après-midi-même suite à un désistement. J’étais allée en consultation chez lui juste avant Noël et il est donc surpris de tous les symptômes que je lui explique. Il me parle de risque de pré-éclampsie. S’en suivent des examens de contrôle: échographie, monitoring, prise de sang, collecte d’urine pendant 24 heures. Il me prescrit déjà un médicament pour faire baisser ma tension.
Le lendemain (mercredi après-midi), je retourne à Ste-Elisabeth pour amener mon échantillon d’urine et refaire un monitoring. Bébé va bien et ne montre aucun signe de souffrance.
Je commence à me sentir un peu mieux, avec encore l’espoir que la situation va pouvoir se stabiliser. Mais en appelant Marie-Christine ce jour-là pour la tenir au courant de l’évolution de ma situation, elle m’annonce que je ne pourrai pas accoucher à la MDN, au vu de ma pathologie. Je m’effondre. Oui, j’aurais dû m’y attendre mais j’ai cru ou j’ai voulu croire qu’il restait une chance pour que la naissance de Léo se déroule dans les conditions que j’avais rêvées pour lui, pour nous trois. Je suis à ce moment-là capable d’être «raisonnable» et de comprendre pourquoi la MDN ne peut plus être une option. Mais je suis profondément triste. Simon ne m’a jamais vue dans un tel désarroi. Après les premières émotions passées, on en parle beaucoup et on s’accroche à ce qui est positif dans la situation: même si je ne le connais pas depuis longtemps, je sens que je peux avoir confiance en mon gynéco. Je suis également fière d’avoir rapidement décelé les signes d’une évolution anormale de ma grossesse, soulagée aussi d’avoir appelé Marie-Christine qui n’a pas attendu et n’a pris aucun risque: c’est tout à fait ce genre de réaction qu’on attendait de la MDN. Bref, face à un problème de santé majeur, on se rend à l’évidence: il n’est pas question ici de frustration de ne pouvoir accoucher à la MDN; vu les circonstances, le milieu hospitalier est nécessaire.
Le soir-même, toujours mercredi, nous assistons à la MDN à une séance d’information sur l’allaitement. Je suis émue de me retrouver là, alors que j’ai appris quelques heures plus tôt que Léo ne pousserait pas son premier cri à l’Arche de Noé. D’autres mamans sont présentes, enceintes, comme moi, pleines de cette vie qui grouille en elles, comme moi, remplies d’attentes magnifiques pour leur bébé à venir, comme moi, avec le projet d’accoucher à la MDN…pas comme moi. Plus comme moi.
L’émotion est là, oui. Mais à ma grande surprise, elle ne prend pas toute la place. Et dans ma tête, la raison arrive à trouver sa place. La présence bienveillante de Simon est pour beaucoup dans l’acceptation de cette nouvelle idée d’accoucher à Ste-Elisabeth. Bref, la soirée se déroule et je prends toutes les informations que je peux concernant cet allaitement dans lequel je fonde beaucoup d’espoir.
Le lendemain matin, jeudi, mon gynéco me téléphone. Il a reçu tous les résultats de mes examens. Il est inquiet: mes plaquettes de sang ont chuté de 150.000 à 70.000. Et mes reins ne remplissent plus correctement leur fonction de filtres: un taux très élevé de protéines se retrouve dans mes urines. Ce qui nous empêche, Léo et moi, d’en profiter. Bref, il n’est plus question d’attendre. Mon gynéco me demande d’intégrer Ste-Elisabeth l’après-midi. Le but: contrôler mes paramètres en permanence en espérant arriver à les stabiliser. Je dois prévoir une valiser pour quelques jours. Et une valise pour bébé. Oups…
On arrive donc à la clinique l’après-midi-même (jeudi), un peu chamboulés. L’inquiétude commence à nous gagner. Je suis sous monito, on vient me faire une prise de sang toutes les 2-3 heures. Les infirmières sont adorables, on se sent entre de bonnes mains.
Mais à 19h, mon gynéco déboule dans ma chambre et nous fait part du risque grandissant de la pré-éclampsie. Il nous explique tout dans les détails, que mon placenta est de plus en plus toxique pour le fonctionnement de mes organes, et forcément pour le bébé aussi. La seule solution pour arrêter cette escalade: enlever le placenta…et donc sortir bébé de mon ventre. Le Docteur explique qu’on ne pourra plus attendre très longtemps. Au maximum, ce sera pour ce week-end. Cela veut dire aussi que Léo naîtra par césarienne. Pour plus de sécurité et pour éviter des pertes de temps inutiles, il décide que je dois passer la nuit au bloc d’accouchement, déjà prête pour une intervention en urgence. Me voilà donc parée d’une blouse d’hôpital, d’une perfusion, d’un holter et d’un monitoring en continu. Je reçois aussi une injection pour accélérer la maturation des poumons de Léo, avant d’être transportée sur mon lit d’hôpital deux étages plus bas.
Nous nous «installons» dans une salle d’accouchement et passons la nuit là, inquiets de notre futur sort. La sage-femme de nuit vient très régulièrement relever mes paramètres et aussi nous donner les résultats des analyses de sang, au fur et à mesure de la nuit. Elle est pleine d’attentions et essaie aussi de nous préparer à la possibilité de plus en plus grande que la césarienne aura lieu le lendemain matin. C’est difficile d’expliquer notre état d’esprit à Simon et moi. D’un côté tout cela semble irréel: il y a à peine quelques jours, nous n’avions que la Maison de Naissance en tête.
Depuis que je sais que je suis enceinte, j’ai pris l’habitude, comme la plupart des mamans, de parler à mon bébé et lui exprimer mes émotions et mon ressenti. Plus que jamais cette nuit-là, j’ai passé beaucoup de temps à lui parler, à tenter de le préparer au fait que sa venue au monde était imminente. Lui dire aussi que ce serait très rapide, qu’il ne déciderait pas du moment où il ferait sa grande entrée mais qu’on viendrait le chercher par «surprise». Le rassurer aussi en lui disant qu’on avait confiance en l’équipe médicale qui interviendrait, et surtout que son papa et moi sa maman on serait là avec lui.
Le matin arrive et avec lui, notre gynécologue. Il nous dit qu’il doit discuter avec le staff médical de la décision à prendre me concernant. Mais il annonce déjà la couleur: le coeur de Léo a montré quelques irrégularités très tôt le matin-même, et si bébé est en souffrance, la césarienne doit se faire dès que possible. Le docteur évoque aussi le fait que ce sera vraisemblablement une césarienne par anesthésie générale. En effet, vu mes paramètres vitaux et mon taux de plaquettes, on ne peut risquer une anesthésie locale, qui pourrait amener de graves complications en cas d’hémorragie.
Quand nous nous retrouvons seuls Simon et moi, nous nous rendons à l’évidence: Léo va naître ce matin, à mille lieues de ce que nous avions espéré pour lui. Nous avons bien compris que l’anesthésie générale signifie que: 1) Simon ne peut être présent dans la salle d’opération et ne pourra donc pas voir Léo tout de suite. 2) je ne pourrai pas voir Léo ni le prendre dans mes bras avant quelques heures, vu mon anesthésie générale et mon transfert vers une salle de réveil.
Cette idée-là est très dure à accepter, bien plus évidemment que l’obligation de renoncer à la MDN,et plus encore que la résignation à la césarienne. Même si les arguments restent les mêmes (priorité à notre santé à Léo et à moi), imaginer que quelques heures s’écouleront avant que je voie mon bébé, je ne m’y étais pas préparée.
Encore une fois, Simon trouve les mots: il sera là, lui, pour Léo, normalement assez rapidement après sa naissance. Il lui parlera, il transmettra à Léo notre amour à tous les deux, il lui expliquera pourquoi je ne suis pas là.
Mon gynéco revient assez rapidement et confirme ce qu’il avait pressenti: on attend l’anesthésiste qui devrait arriver dans la demi-heure et puis on y va. En attendant, je reçois tout de suite la deuxième injection pour la maturation des poumons de Léo. Le docteur nous explique aussi qu’il est possible qu’après mon réveil, je sois transférée, non en maternité, mais au Middle Care (service conjoint aux soins intensifs, pour les situations qui demandent une surveillance médicale accrue). En effet, les risques d’une éclampsie (avec symptômes convulsifs) restent présents, même après l’extraction du placenta, encore environ 24h. La maternité n’est pas suffisamment équipée pour assurer une telle surveillance et le Middle Care sera sans doute un passage obligé. Impossible de dire pour combien de temps. On a dû sembler très raisonnables à mon médecin: on était posés, calmes, on ne pleurait pas. Mais à ce moment-là, j’ai eu peur de mourir, pour la première fois de ma vie. Bien sûr, j’avais peur aussi pour Léo mais les faits étaient là, très objectifs: ma vie était plus en danger que la sienne.
Cette peur que je ne connaissais pas, je n’ai pas voulu la partager. J’ai pensé à Simon qui serait seul, pendant que je serais opérée (oui, c’est ça: je n’allais pas accoucher. On allait m’opérer. Toute la nuance est là dans ce verbe actif «accoucher» qui était remplacé par un verbe passif «être opérée») et j’ai craint qu’il ne cède à la panique si je parlais de ma peur de mourir.
J’ai dû avoir la voix qui tremblait quand même un peu quand j’ai demandé au docteur comment se déroulait une césarienne, car il a adopté un ton particulièrement doux pour me répondre. Il a aussi pris la peine, autant que possible, de remplacer des mots très techniques et l’explication du déroulement très chronométré de l’opération, par des phrases qui remettaient bien la naissance de Léo dans son contexte. Il a pris ces quelques minutes pour me rassurer et je lui en suis très reconnaissante. Rapidement après, tout est allé très vite. Des sages-femmes et des stagiaires ont commencé à fourmiller autour de moi, me préparant à la césarienne, m’amenant en salle d’op.
L’heure de dire «au revoir» à Simon est arrivée. On a tous les deux des mots positifs: «ça va aller, on est forts tous les trois, on s’aime c’est le plus important, on a confiance». Mais une autre question qui me trotte dans la tête, c’est «serons-nous trois après l’opération?».
Dans la salle d’op, il fait très froid, chacun est à son affaire. La pédiatre qui prendra en charge Léo dès sa sortie de mon ventre, vient se présenter à moi. Tout simplement et tout doucement. Je ne la connais pas encore mais je sens que je peux lui faire confiance. Je me souviens même m’être dit à ce moment-là «c’est elle qu’on prendra comme pédiatre» (et c’est effectivement elle…). Une stagiaire sage-femme, aussi jeune que gentille, reste près de moi et s’efforce de me rassurer. Je la remercie mais lui demande de me laisser seule (si tant est qu’on peut être seule dans une salle d’op à quelques minutes d’une intervention!): j’ai besoin de me centrer sur moi et mon bébé, de lui parler encore, de lui dire que ça y est, le grand moment est arrivé. Beaucoup plus tôt que prévu (je suis désormais au premier jour de ma 33ème semaine d’aménorrhée depuis ce matin-là), certes, mais que personne n’y peut rien, ni lui, ni moi. Je lui dis ma confiance totale en l’équipe médicale pour nous prendre tous les deux en charge le mieux possible.
Puis le masque sur mon visage. Je sais que je ne sentirai pas que je m’endors: ça ira très vite, le docteur m’a prévenue. Car il faut pouvoir m’ouvrir le plus rapidement possible, pour pouvoir sortir Léo le plus rapidement possible, afin qu’il subisse le moins possible les effets des sédatifs qu’on m’a administrés.
Lorsqu’on m’a mis le masque, j’ai compris le sens de l’expression «à la grâce de Dieu». À ce moment-là, plus rien ne dépendait de moi, je n’avais pas d’autre choix que de lâcher prise. Puis c’est le vide. Je peux imaginer, mon cerveau est capable de créer des images de ce qu’il s’est passé: la rapidité de l’intervention, les gestes précis, techniques du docteur, le vocabulaire médical utilisé, des détails anatomiques, du sang, mes viscères… Et au milieu de tout cela, mon petit, mon tout petit bébé, encore tout endormi au creux de mon ventre, qui ne comprend pas ce qui arrive. Tout va tellement vite, tout va trop vite. Les infirmières sont ensuite allées chercher Simon pour qu’il voie Léo, dans une pièce voisine à la salle d’op (où je suis toujours endormie et où on s’affaire pour me recoudre). Léo a pleuré, il a poussé ses premiers cris, ce qui est bon signe a-t-on dit à Simon. Toute une équipe était autour de Léo mais je ne peux en parler vu mon absence, et je ne veux pas prendre la place ni les mots de Simon pour raconter les premières minutes de la vie de notre bébé.
Je me réveille peu de temps après, dans le gaz, avec des paroles incohérentes. Puis je vois Simon à mes côtés: Léo vient de monter en néonatalogie pour y être appareillé et branché de partout. Simon me rassure: Léo va bien, et en plus, il est beau! Simon ne peut rester car je suis transportée, encore dans les vaps, en salle de réveil. J’ai une pompe à morphine, on m’explique son fonctionnement très simple. C’est vrai que j’ai un peu mal dans le bas-ventre, là où j’ai été ouverte. De la salle de réveil, je suis ensuite amenée au Middle Care. J’ai l’impression de ne plus pouvoir rien faire par moi-même, je suis branchée de partout: j’ai une sonde urinaire, de l’oxygène, des électrodes sur le torse, un holter, trois perfs dans les bras, un appareil pour mesurer la saturation, des baxters.
Je ne peux pas manger ni boire, je ne peux même pas m’asseoir. Et je ne peux donc pas me déplacer (ou plutôt être déplacée) pour aller rencontrer mon petit bébé.
Une première rencontre tardive…
S’en suivent de très longues heures, trop longues, trop nombreuses, pendant lesquelles je me morfonds et je pleure de ne pas pouvoir serrer mon tout petit. Je reçois quelques visites mais elles sont limitées à la famille très proche et dans un créneau horaire restreint. Seul Simon a le droit d’être avec moi en-dehors de ces moments. Simon entame donc des allers-retours entre la néonat, le Middle Care et notre maison. Il me raconte et essaie d’être le plus fidèle possible à ce qu’il observe chez Léo. Celui-ci va bien et son état, stable, est tout à fait rassurant. Vendredi soir, visite surprise: Bénédicte vient me voir et amène avec elle un peu de sa chaleur qui lui est si particulière, pour réchauffer mon coeur meurtri de jeune maman qui n’a pas encore pu rencontrer son bébé. Elle s’inquiète que personne ne soit encore venu pour stimuler ma lactation et récolter mon précieux colostrum. Elle s’affaire pour la première expression manuelle de mon lait. Même s’il n’ira pas dans le ventre de Léo, ce premier lait va aider à stimuler la lactation. Merci Bénédicte pour ta présence réconfortante à ce moment-là, et pour m’avoir convaincue de continuer à parler à mon bébé (comme lorsqu’il était encore dans mon ventre), ce que j’ai fait inlassablement.
Car il a fallu attendre plus de deux journées complètes pour que je puisse enfin serrer mon Léo dans mes bras. Léo est né le vendredi 11 janvier à 9h30 et je l’ai rencontré le dimanche 13 à 16h00.
Cette attente a été très difficile à vivre. La situation semblait parfois surréaliste: Léo et moi étions tous les deux au même endroit, à la même adresse, mais nous ne pouvions pas nous voir! Mon gynéco est passé me voir plusieurs fois et comprenait bien mes attentes. Malgré son intervention et celle de la pédiatre, je n’ai pas pu quitter le Middle Care avant dimanche après-midi. Quand j’ai été amenée dans ma chambre à la maternité (chambre commune avec une maman qui avait son bébé avec elle dans la chambre…), Simon a enfin pu me conduire, en chaise roulante, jusqu’en néonat. Simon a sonné à l’entrée de la néonat et s’est présenté au parlophone en disant «la maman et le papa de Léo». Quelle fierté j’ai alors ressentie, même si je ne connaissais pas encore Léo! Passées les formalités sanitaires obligatoires qui me semblent interminables (port d’une blouse, mains lavées et désinfectées), me voilà enfin dans une pièce où trônent plusieurs couveuses. Simon étant derrière moi et poussant ma chaise roulante, je ne sais pas où il va m’amener, je ne sais pas lequel est mon bébé! Je suis fébrile à l’idée de ne pas reconnaître mon enfant. Mais la chaise s’arrête et, enfin, j’ai devant moi mon petit Léo, toute toute toute petite boule d’amour, que je peux toucher à travers les hublots de la couveuse. Je lui parle, je le caresse, il se tourne vers moi, il me reconnaît! Quelle bouffée d’amour, quelle fierté à ce moment précis! Une infirmière s’approche et propose de déposer Léo contre moi, en peau à peau. On s’emmêle un peu entre les fils de Léo et les miens, mais on y arrive à notre plus grand bonheur. Il est si petit et si léger, avec son 1,700 kg…et tellement beau! Il se blottit contre moi, j’ai assez d’une main pour le porter et le maintenir contre ma poitrine. Les larmes coulent et toutes les émotions viennent se mélanger mais qu’importe! J’ai mon petit dans mes bras et nous sommes enfin réunis tous les trois.
Le soir-même, je commence à tirer mon lait que j’amènerai à Léo, au fur et à mesure des mes visites à la néonat, plusieurs fois par jour. Léo a une sonde qui part de son nez jusqu’à son estomac: il est «gavé». Il ne recevra rien d’autre que mon lait maternel, que j’aurai la chance d’avoir en quantité. En effet, il est encore trop petit/immature physiologiquement/faible pour être capable de têter à même mon sein. Il a surtout besoin de dormir et rester bien au chaud, dans la couveuse.
Dans les jours qui suivent, quelques têtées de contact sont essayées mais sans grand succès. Rien d’inquiétant cependant, vu son jeune âge et son petit poids.
Arrive une nouvelle étape qui est un autre déchirement: après 10 jours de convalescence, je quitte la maternité et nous rentrons à la maison, sans Léo qui reste à la néonat. Il y restera au total pendant 6 semaines. 6 semaines pendant lesquelles nous sommes allés le voir 2 à 3 fois par jour. 6 semaines particulièrement intenses et éprouvantes, entre les trajets, les séances de tire-lait plusieurs fois par jour, la fatigue, les émotions, les coups de téléphone de la famille et des amis.
Un allaitement difficile à démarrer…
Dans un premier temps, les infirmières pédiatriques de la néonat et notre pédiatre se sont montrées tout à fait rassurantes, même si les mises au sein s’avéraient infructueuses. Petit à petit, différentes techniques et positions ont été essayées. Parfois, Léo têtait 22 grammes, 6 gr, 0 gr…. C’était très aléatoire. Souvent, nous avions l’impression qu’il y avait eu un déclic, quelque chose de différent dans la têtée…puis sur la balance, rien. Peser Léo avant, pendant, après la mise au sein…malgré la volonté constante de ne pas nous mettre la pression, à Léo et à moi, ce protocole instauré par la néonat est vite devenu énergivore…et déprimant. À un certain stade, on a commencé à entendre des petits commentaires désagréables adressés à Léo: «Allez petit fainéant! Maman a plein de lait, papa et maman veulent que tu rentres à la maison…ça ne dépend que de toi!»…Insupportable. Je suis devenue de plus en plus sensible, à fleur de peau: qu’est-ce qui ne va pas chez moi? Pourquoi je n’arrive pas à l’allaiter? Les bébés arrivés en même temps que Léo en néonat sont rentrés chez eux depuis longtemps…Maintenant c’est le tour de ceux qui sont arrivés bien après Léo…
Je continue à tirer mon lait et à l’amener, mes petits pots remplissent le congélateur de la néonat, on me dit que j’ai beaucoup de chance d’avoir encore autant de lait, alors que Léo ne prend pas au sein.
Je passe ici un épisode long et éprouvant pour notre moral mais en bref, les deux dernières semaines de Léo en néonat nous ont fait perdre toute confiance en nos capacités de parents. Débutée sur un malentendu, une relation avec un des pédiatres me fragilise davantage car il est question de passer au biberon. Je refuse mordicus: j’ai du lait, Léo n’a même pas encore l’équivalent de 38 semaines, je veux continuer à essayer.
Les avis et conseils de certaines infirmières sont parfois contradictoires et on ne sait plus où donner de la tête. Je me sens complètement perdue. Simon a la bonne idée d’appeler Bénédicte qui propose de venir nous voir en néonat, lors d’une mise au sein. Elle se montre rassurante et nous conseille d’appeler Thérèse Richard. Celle-ci nous redonne tout de suite confiance: tant que j’ai du lait, et tant que Léo est capable de têter au doigt (technique du DAL aussi appelée «à la paille»), on peut garder l’espoir que l’allaitement démarre. Il n’en faut pas plus pour nous rebooster! Thérèse nous donne également une consigne essentielle: nous devons nous tirer de la tête que nous quitterons la néonat avec un allaitement démarré. Nous aurons tout le temps de nous y consacrer quand nous serons à la maison, au calme, avec Thérèse. C’est déjà un soulagement énorme!
Finalement, quand Léo a 5 semaines, nous passons en «chambre mère-enfant»: c’est censé être la dernière ligne droite avant le retour à la maison, histoire que maman et bébé s’habituent à être ensemble 24h/24. La sonde de Léo est enlevée et il est donc exclusivement nourri en fournissant des efforts, que ce soit à la tasse, à la paille, et au sein le plus souvent possible. Une condition est posée par le pédiatre: si Léo ne boit pas assez par ses «propres moyens», le gavage sera recommencé. On nous dit aussi que, dans notre cas, la chambre mère-enfant n’est pas forcément la promesse d’une sortie dans les 2-3 jours, comme c’est le cas habituellement. Le but ultime est de développer l’allaitement. Forts des contacts téléphoniques que nous avons quotidiennement avec Thérèse, nous acceptons ces conditions. Léo et moi resterons finalement 5 jours en chambre mère-enfant. Tous les jours, Thérèse nous encourage et insiste sur le fait que la mise au sein sera travaillée à la maison. Pour nous, ce point-là est très clair. Mais le faire comprendre au personnel médical, c’est une autre paire de manches! Nous voilà parfois amenés à tricher un peu, juste pour qu’on arrête de faire du forcing à heure fixe sur les mises au sein de Léo…qui s’y endort systématiquement! Au sein de l’équipe des infirmières, deux d’entre elles vont nous soutenir jusqu’au bout de notre projet d’allaitement. C’était un vrai soulagement de constater qu’elles étaient de service! Les encouragements téléphoniques de Thérèse et le soutien réel de ces deux infirmières nous ont aidés à tenir le coup et à nous convaincre que non, nous n’étions pas fous de croire en cet allaitement. Nous sommes rentrés à la maison tous les trois quand Léo a eu 6 semaines. Thérèse est venue le jour-même nous inonder de ses précieux conseils, de ses paroles encourageantes, de ses gestes chaleureux.
Pendant les 4 semaines qui ont suivi, j’ai continué à tirer mon lait entre 5 et 9 fois par jour, et à le donner à Léo à la paille: c’est la technique qui nous convenait le mieux à tous les deux. À chacun des ses repas, Léo était mis au sein. Toujours sans grand succès. Quelques fois, il têtait un peu et résonnait alors la phrase victorieuse de Thérèse: «il nous a montrés qu’il pouvait le faire». Nous avons tout essayé: le bain, la pénombre, le peau à peau, la tétrelle, les positions différentes, etc… Sans succès. Pourtant, nous gardions espoir!
Tout doucement dans notre entourage s’est installée une sorte de défaitisme, comme si tout le monde (ou presque) pensait qu’il faudrait bien arrêter de s’obstiner et regarder les choses en face: cet allaitement qui mettait tant de temps à démarrer était un échec. Des petites phrases ont commencé à se glisser dans les conversations: «t’en as pas marre de tirer ton lait? Tu vas continuer comme ça jusque quand?»… On était aussi fort limités dans nos activités puisque je tirais mon lait toutes les trois heures. Mais l’idée d’arrêter tout ça, même si c’était contraignant, et de me résoudre à passer au lait en poudre, cette idée restait inconcevable pour moi au vu, entre autres, de tout le lait que mes seins continuaient à produire. J’ai aussi et surtout répété inlassablement à qui voulait bien l’entendre que je n’avais pas pu accoucher à la Maison de Naissance, ni de manière physiologique, ni être avec Léo pendant les trois premiers jours de sa vie, mais que pour l’allaitement je pouvais enfin être actrice et décider que je continuais à essayer.
Que Thérèse nous dise qu’elle continuait à y croire était une motivation supplémentaire et majeure. Quand Léo a eu 2 mois, j’ai préféré essayer les mises au sein avec une tétrelle quasi d’office car les résultats semblaient légèrement plus positifs avec l’utilisation de cet accessoire.
Un peu plus tard, Léo a eu 2,5 mois. Tout d’un coup, un sentiment de désespoir m’a submergé. Il est arrivé sans crier gare. J’ai commencé à culpabiliser. Bizarrement, cela n’avait pas été le cas jusque-là: j’avais confiance en moi et en Léo pour cet allaitement. Mais quand la culpabilité à commencé à me ronger, ce fut l’enfer dans mon coeur. Qu’est-ce que je faisais mal? Est-ce que je n’étais pas en train de faire du forcing alors que cela n’intéressait tout simplement pas Léo? J’en ai discuté avec une amie proche, kinésiologue comme moi, qui m’a poussée dans mes derniers retranchements. Ses questions directes semblaient presque irréalistes sorties de sa bouche, car je savais qu’elle comprenait et soutenait profondément mon allaitement. Après une longue discussion et beaucoup de larmes, j’ai pris la décision que j’évoquerais avec Thérèse, lors de sa prochaine visite deux jours plus tard, l’arrêt de l’allaitement. Je n’étais pas soulagée par cette décision, au contraire. Une autre forme de culpabilité est apparue et mon coeur était en morceaux.
Le lendemain, une autre amie proche est venue nous voir Léo et moi. Alors que je m’installais pour mettre Léo au sein, plus par habitude et réflexe qu’avec une véritable attente, mon amie a débuté une conversation à laquelle j’ai participé (alors que d’habitude, j’entourais ce moment de mise au sein d’un certain calme et de toute mon attention). Et là, sans crier gare, Léo a commencé à têter! Et bien, en plus! Quand je lui ai présenté le deuxième sein, il a repris de plus belle… Il a un peu moins têté et je lui ai présenté, comme d’habitude, mon lait à la paille, tiré quelques heures avant: il n’a pas tout bu, me donnant la confirmation qu’il était repu, vu ce qu’il avait déjà bu directement à la source.
Mon bonheur a été immense mais pas complet: j’ai eu peur que cela ne soit qu’une têtée réussie isolée. Mais au moment de son repas suivant, Léo a réitéré son exploit! Là, plus de doute, je me suis empressée d’appeler Thérèse pour lui annoncer la grande nouvelle. Nous nous sommes laissé des messages par répondeurs interposés, mais l’émotion était palpable, des deux côtés! À partir de ce moment-là, Léo a continué à boire au sein à chaque repas. Il a quand même reçu, après chaque têtée, un petit complément au DAL et donc le tire-lait est resté dans le décor de notre vie pendant encore de longs mois. Nous avons poursuivi ce système sur les conseils de Thérèse et de notre pédiatre, car la prise de poids de Léo restait précaire. Mais petit à petit, les contraintes ont diminué jusqu’à arriver, lors de ma reprise du travail, à ne tirer qu’une fois par jour, les journées où j’étais au boulot.
Il faut aussi savoir que je continuais à essayer régulièrement de donner le sein sans tétrelle. Là aussi, cela a pris du temps mais on y est arrivés: Léo a commencé à boire au sein avec tétrelle à 2,5 mois, et sans tétrelle à partir de 5 mois.
Je suis très fière de Léo et de notre allaitement réussi. Dans quelques jours, Léo aura 16 mois et est toujours allaité, pour notre plus grand bonheur. Cette aventure humaine extraordinaire (je parle aussi bien de la naissance de Léo que de son allaitement) a été possible grâce à des personnes professionnelles remarquables qui ont insufflé, et continuent de le faire dans leur travail de tous les jours, une humanité profonde. Merci à Bénédicte et Evelyne de la Maison de Naissance, merci à mon gynécologue et à la pédiatre de Léo, merci à Vinciane et Fabienne de la néonat, merci merci merci à Thérèse, soutien indéfectible pendant 8 beaux mois de suivi à la maison. Et merci bien sûr à nos familles et nos proches qui nous ont entourés de leur amour et de leur amitié.
Enfin, pour la petite histoire, j’ai souhaité revoir le pédiatre avec qui j’avais été en froid à la néonat, afin de pouvoir sortir de cette spirale négative où je ressassais sans cesse nos échanges. J’y ai été encouragée par Thérèse mais aussi par la pédiatre de Léo qui, toutes les deux, chacune à leur manière, ont été dans une véritable écoute. Le pédiatre a été d’accord de me rencontrer et ce fut pour moi un moment important dans l’acceptation de tout ce qui avait été plus douloureux autour de la naissance de Léo. Cette rencontre inattendue a été extrêmement positive et je tiens également à remercier ce pédiatre de son humilité.
Céline, Simon et Léo
Achêne, le 6 mai 2014.